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Collectifs étudiants et groupes de lycéens

Aux alentours de 1975, on commence à voir apparaître un certain nombre de groupes de lycéens et de collégiens qui ont déjà toutes les caractéristiques de l’Autonomie. Contrairement aux Collectifs Etudiants, ces groupes restent très informels et ressemblent plus à des bandes de jeunes.

Il en est ainsi par exemple d’un petit groupe de collégiens et de lycéens de Fontenay-sous-Bois, dans le Val-de-Marne. Ces jeunes collégiens n’ont que 14 ans en 1975-1976 : ils ne se réclament d’aucune étiquette politique mais sont déjà des autonomes sans le savoir. Stéphane faisait partie d’entre eux :

« il y avait un peu de tout : des filles, des garçons, nos activités à cette époque-là consistaient en grande partie à détruire tout ce qui concerne les campagnes électorales, à faire des bombages partout où on pouvait sur les murs du CES ou du lycée qui était juste à côté. Les premiers bombages qu’ on a fait, c’était le bombage situ « Ne dites plus « Bonjour monsieur le professeur », dites « Crève salope ! » ». On bombait aussi vachement des trucs sur la vie : je me rappelle d’un gros « Orgasme » qu’on avait bombé en bas dans le hall du CES, ou alors à l’occasion de visites : il y avait la visite d’un inspecteur d’académie pour une inauguration, on avait mis des bombages d’ insultes de toute l’Administration scolaire, contre le recteur, contre le directeur du CES… » [1].

Ces collégiens vont alors faire grève à la rentrée 1975 après le vote de la loi Haby créant le collège unique. Cette loi est en effet perçue alors comme un moyen de revenir sur les acquis de 1968.

Devenus lycéens en 1976, Stéphane et ses amis poursuivent leurs actions de plus belle :

« C’était une super période parce que la vie au lycée était une grève quasiment illimitée : il n’ y a pas eu une année au lycée où on n’a pas été en grève les deux tiers de l’année. Des fois on s’est retrouvé à dix à pas aller en cours mais on tenait toujours. On nous a jamais fait chier parce qu’on avait vraiment un rapport de forces différent. On avait un foyer à nous hyper fort : on avait un journal, on faisait des affiches, on allait de lycée en lycée… Dès qu’il y avait une exclusion dans un lycée dans la banlieue d’ à côté, on allait voir ce qui se passait et on revenait avec les autres élèves : « C’est une honte, il faut se mettre en grève tout de suite ! ». Enfin, de toute façon, toutes les occasions étaient bonnes pour pas aller en cours, pour discuter, pour foutre le bordel quoi ! On était forts dans ce lycée parce qu’ on était déjà un bon petit paquet et parce qu’ en dehors de nous il y avait aussi d’ autres groupes. On était forts des relations avec certains profs qui remplissaient jamais les carnets d’ absence parce que ce qu’ on faisait leur plaisait. On était forts aussi des relations avec tous les surveillants du bahut qui nous soutenaient et court-circuitaient toutes les punitions qu’ on pouvait nous coller à cause des absences. On était forts des relations avec tout le personnel : même les mecs qui bossaient à la cantine, on avait fait grève pour eux pendant trois semaines parce qu’ ils gueulaient contre leurs conditions de boulot. On avait dit qu’ ils étaient pas assez payés et on avait fait grève pour eux ! ».

A la même époque se constitue à Paris, au printemps 1976, le premier Collectif Etudiant Autonome (CEA), à l’occasion d’une grève nationale contre une réforme du second cycle. Cette grève étudiante est alors la plus longue depuis 1968 : commencée début mars, elle se poursuit durant trois mois, jusqu’à la fin mai. Le 18 janvier, la nouvelle secrétaire d’Etat aux universités, Alice Saunier-Seïté, publie un arrêté créant de nouvelles filières en second cycle. Cette réforme est immédiatement interprétée par les étudiants comme une tentative de professionnaliser l’université et d’accroître la sélection [2]. C’est dans ce contexte que des étudiants de plusieurs universités parisiennes vont se rassembler au sein du Collectif Etudiant Autonome. Le CEA rassemble une cinquantaine d’étudiants des universités de Tolbiac, Jussieu, Nanterre, Vincennes, Dauphine, et Saint-Charles [3]. La majorité d’entre eux, une trentaine, sont ceux de Tolbiac. D’après Patrick, qui faisait partie du CEA de Tolbiac, le Collectif Etudiant Autonome était surtout composé d’étudiants en histoire, en droit, et en philosophie [4]. La moitié des étudiants du CEA de Tolbiac sont membres de Camarades : c’est ce noyau dur qui est à l’origine de la création du CEA et qui participe dans le même temps à un autre collectif : « L’Ecole en lutte ». Le leader, Yann Moulier-Boutang, est inscrit en sociologie à l’université de Jussieu.

A Tolbiac, dès le mois de janvier 1976, l’UNEF (alors dirigée par l’Union des Etudiants Communistes) appelle à des Assemblées Générales pour débattre de la réforme du second cycle [5]. Lorsque la grève débute en mars sous l’impulsion des groupes d’extrême-gauche, l’UNEF tente durant la première semaine de s’y opposer. Pour beaucoup d’étudiants, la réforme du second cycle n’est qu’un prétexte : il s’agit surtout de faire grève pour ne pas travailler. Certains étudiants qui ne se reconnaissent pas dans les groupes d’extrême-gauche commencent alors progressivement à s’organiser de manière autonome. Cette expérience est relatée dans le numéro 2 de Camarades sous la forme d’une discussion entre les membres du CEA de Tolbiac. Ces étudiants racontent ainsi comment est née le CEA :

« Il est arrivé un moment où on en a eu marre des querelles entre organisations et de leur blocage. Le fossé s’est surtout creusé à partir du moment où notre discours a commencé à s’élaborer, où on a rencontré des copains de Nanterre qui avaient sorti un tract où ils proposaient d’autres analyses et d’autres objectifs, depuis on a avancé, toujours est-il que ça a été le point de départ. Dès le début c’était anti-organisation parce que le discours des organisations nous paraissait déjà vide. A partir du moment où on a eu une analyse, le fossé s’est encore creusé davantage. On a commencé à se poser en alternative. On a pu imposer un débat, ne serait-ce que parce qu’on représentait une nouvelle voie. Même avant d’aller à Nanterre, il y avait un noyau ; ça se cristallisait à Tolbiac. En effet, on s’apercevait du décalage qui existait entre ceux qui étaient à la tribune et l’ensemble des étudiants. La première chose qu’on a demandé, ce sont des débats de fond, alors qu’en AG on nous imposait des attaques entre la Ligue [6], l’UNEF, et l’AJS [7] ».

Parmi les premières initiatives du CEA, le trucage des micros des amphithéâtres et la création de « Radio Tolbiac en lutte ». A la rentrée 1976, le CEA commence à organiser des autoréductions dans les restaurants-universitaires : à plusieurs reprises, les étudiants occupent les restaurants et servent les repas gratuitement. En 1977, le CEA impulse un « Comité de Défense des Consommateurs de Philosophie ». Le CEA de Tolbiac se réunit de manière irrégulière, en général deux fois par mois. Ses membres n’hésitent pas à jeter des pots de peinture sur les enseignants ou même un jour à séquestrer un professeur de droit. D’après Patrick, le CEA avait essentiellement une activité parasitaire consistant le plus souvent à perturber les Assemblées Générales ou à faire des graffitis dans le métro.

Une nouvelle grève commence à l’université de Vincennes au mois de novembre 1977 suite au refus du président d’inscrire plus d’un millier d’étudiants. La grève est votée le 17 novembre par 500 étudiants : 300 occupent le bureau de la présidence et 200 se rendent au commissariat de la ville pour libérer deux étudiants qui viennent alors d’être arrêtés. Après avoir occupé et fouillé le commissariat, les étudiants constatent que les cellules sont vides et que leurs deux camarades ont été libérés. Le 23 novembre, 300 étudiants encerclent le bâtiment de la scolarité et séquestrent le président Merlin, qui est molesté après avoir tenté de s’échapper [8].

Le 19 janvier 1978, à l’occasion des élections des élections universitaires, l’une des salles de vote de l’université de Jussieu est saccagée par les autonomes un jour où ceux-ci tenaient leur assemblée générale : les urnes sont emportées puis incendiées. Le 26 janvier, une opération est organisée sur l’université de Nanterre en riposte à une agression des lambertistes de l’AJS : la salle des urnes est là aussi saccagée, le local de l’UNEF-AJS est incendié et le restaurant-universitaire est pillé. Le 8 février, un meeting autonome rassemble 200 personnes à Nanterre [9]. Deux jours plus tard, un concert punk est organisé à Tolbiac. Le 13 novembre 1978, 12 000 étudiants et lycéens manifestent à Paris. D’après le n° 6 d’Autonomie prolétaire (février 1979), 1 500 de ces étudiants auraient défilé à cette occasion derrière la banderole des autonomes, pour « l’autonomie et l’unité des luttes » [10].

Au mois de mai 1980, un certain nombre d’universités se mettent en grève contre le décret Imbert qui vise alors à restreindre l’immigration. Le 23e étage de la tour centrale de l’université de Jussieu est occupé par un petit groupe que la presse a surnommé « les irréductibles » [11]. L’arrivée sur le campus de jeunes non-étudiants (chômeurs, lycéens, ou collégiens) venus des banlieues va très vite donner une autre tournure au mouvement, ces très jeunes autonomes organisant quotidiennement à partir du 9 mai de véritables opérations de guérillas urbaines. L’intervention de la police aboutit le 13 mai à la mort de l’un d’entre eux, Alain Begrand. Cette stratégie de guérilla est alors sévèrement critiquée par l’OCL, qui prend à ce moment-là ses distances avec la mouvance autonome. L’année 1980 est en fait révélatrice du tournant qui s’opère alors dans la mouvance. Beaucoup des autonomes des années 70 se sont à cette époque déjà éloignés de la mouvance en voyant s’effondrer le mouvement qu’ils avaient connu, ce qui explique que la seconde génération qui vient d’arriver est alors totalement désorganisée. C’est d’ailleurs aussi sans doute l’une des raisons de la mort d’Alain Begrand.

L’occupation de Jussieu se poursuit les jours suivants :

« on parle de zone libérée, d’animation, de concert ; des commissions se mettent en place (lien avec les avocats, liaison avec l’extérieur, les travailleurs, discussions plus politiques, etc.…). Certains étudiants parlent d’aller… à Renault Billancourt ! Alors que le personnel et les profs craignent pour leur outil de travail (on n’ a jamais bien su ce qui avait été cassé ni par qui), on essaie d’empêcher le déroulement des cours et des examens qui se passent sous la protection des vigiles, de profs anti-grèves, de fachos et de CRS ; certains partiels sont « victorieusement » repoussés… à la semaine suivante ; en attendant, la nuit, tout le monde rentre chez soi, des maîtres-chiens circulent dans les couloirs… » [12].

Cette description de l’occupation de l’université est publiée dans un article du numéro de juin du nouveau journal de l’OCL : « Courant alternatif ». L’auteur de cet article poursuit son récit de manière très critique à l’égard des autonomes :

« Peu à peu, on se sent revenir trois ans en arrière, au beau temps des assemblées générales de l’autonomie. Beaucoup de proclamations, de projets, d’engueulades, mais finalement, on se rabat sur le pillage du « surplus américain », ou le casse des vitrines de la banque voisine. Personne ne veut ou ne peut se donner les moyens d’ une alternative réelle ; mais qui croit encore à l’avenir de ce mouvement ? ».

Pour l’OCL, les autonomes français ont été incapables de mobiliser les « étudiants prolétarisés » à partir de leurs propres besoins, tel que l’avaient fait les autonomes italiens dans les années 70 en imposant le diplôme garanti.

Dans les années qui suivent, l’université de Tolbiac reste le principal bastion des autonomes. D’après Mathieu [13], le Collectif Autonome Tolbiac (CAT) regroupe alors une quarantaine d’étudiants. Parmi les différentes initiatives du CAT, l’organisation de concerts. En 1982, le CAT publie un journal, « CAT Pages », qui présente ainsi le collectif :

« Le CAT s’est constitué à partir de la rencontre d’ un certain nombre d’ individus – les uns issus de divers expériences de l’ex-autonomie parisienne, les autres tout simplement séduits par la perspective de l’activité autonome – autour d’ un projet d’intervention politique diversifié, précis et volontairement limité (dans un premier temps) : - le territoire social, en frappant ce qui est aujourd’hui un des points forts de la gestion social-démocrate, le contrôle social… - la fac de Tolbiac, lieu de rencontre de jeunes précarisés, espace social qu’ il ne s’agit pas d’ aménager, mais bien plutôt de détourner de sa fonction capitaliste, de se réapproprier. » [14].

Dans un article intitulé « Etudiant, sous tes lunettes, tu restes un travailleur », le « Détachement Etudiant pour l’ UV Garantie » (DEUG) développe la thématique du diplôme garanti et du refus du contrôle du travail [15] : « le diplôme devient la première forme de rémunération que nous exigeons, pour prix des conditions qui nous sont faites ».

En mai 1983, un important mouvement étudiant se développe contre la réforme Savary qui supprime alors la sélection à l’entrée des universités. Contrairement aux mouvements étudiants habituels, celui-ci est essentiellement animé par des étudiants de droite et d’extrême-droite. La presse parle alors d’un « mai 68 à l’envers » à l’occasion des émeutes qui ont lieu durant ce mouvement. Alors que l’UNEF et l’UNEF-ID [16] s’emploient à défendre la réforme du gouvernement en essayant de canaliser le mouvement dans une lutte « pour l’amélioration » de la réforme, un groupe d’étudiants autonomes tente de se démarquer aussi bien des étudiants de droite que des syndicats de gauche :

« Sous la signature de « Sans Contrôle » nous tentions de répondre à plusieurs impératifs : (…) Porter la critique non pas sur tel ou tel article de la réforme, mais sur le projet de qualification/professionnalisation, d’ insertion directe de l’ université dans le marché du travail et le procès de production ; cela passait par la réaffirmation du fait que les étudiants sont une force de travail en formation, dont le devenir social est réparti de façon inégale » [17].