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La Presse autonome

Il serait difficile de prétendre énumérer de manière exhaustive la totalité des titres que comporte la presse autonome puisqu’il s’agit de dizaines de petites revues éphémères. Dans la partie consacrée aux différents groupes autonomes, j’évoquerai les revues éditées par Camarades, l’OCL et l’autonomie désirante. Je ne m’attarderai ici que sur quatre publications d’envergure plus modeste : L’Officiel de l’autonomie (1977), Autonomie Prolétaire (1977-1979), L’Encrier (1977), et Tout ! (1982-1985). Mais on pourrait aussi citer d’autres revues autonomes de la même époque, comme par exemple Annie aime les sucettes, un journal spécialisé dans le rock alternatif et publié par Jean-Pierre Petit, ou Molotov et Confetti, qui paraît en 1984. Ces différentes publications sont surtout révélatrices de deux générations distinctes : celle des années 70 et celle des années 80. On perçoit facilement la rupture entre les deux, aux alentours de 1980-1981 : la plupart de ceux de la génération des années 70 ont déjà quitté le mouvement au début des années 80, et la plupart de ceux des années 80 sont trop jeunes pour avoir réellement participé au mouvement de 1977-1979.

L’un des titres les plus connus de l’Autonomie est L’Officiel de l’autonomie. L’Officiel de l’autonomie n’a eu qu’un seul numéro mais a visiblement bénéficié d’un très gros tirage dépassant de beaucoup les autres journaux du mouvement. Il paraît en novembre 1977 sous la forme d’un huit-pages au format A3 et se présente ainsi :

« Ce journal est composé de textes de collectifs ou d’individus participant de près ou de loin à L’ASSEMBLEE PARISIENNE DES GROUPES AUTONOMES ; il est donc clair que ces textes n’engagent que leurs auteurs. Ce journal ne prétend en aucune façon représenter tout le mouvement autonome en France ou à Paris. Ce n’est donc pas le journal officiel de l’autonomie !!! ».

L’Officiel de l’autonomie tente de réaliser une synthèse des différentes tendances qui composent l’Assemblée Parisienne des Groupes Autonomes qui s’est réunit à l’université de Jussieu le 29 octobre 1977. Cependant, on voit bien que l’autonomie désirante et les composantes les plus marginales de l’autonomie sont absentes de cette tentative de synthèse : probablement que beaucoup d’autonomes ne se sont pas reconnus dans ce journal. L’Officiel de l’autonomie se compose de seize articles et ses rédacteurs ne sont pas parvenus à se mettre d’accord sur un éditorial. En ce sens, le journal est relativement représentatif du mouvement par son incapacité à se mettre d’accord sur une ligne politique commune. Faute d’éditorial, un « point de vue » sur le journal est publié, mais il y est précisé que, comme pour les autres articles, ce point de vue ne donne l’opinion que d’une partie des rédacteurs. Les auteurs de ce point de vue concluent ainsi :

« Les débats et comptes-rendus ont été rédigés par des commissions constituées de membres des divers collectifs autonomes, ce qui pourra expliquer les contradictions entre les textes, voire les divergences politiques, qui ne seront que le reflet de notre réalité en tant que groupes autonomes luttant sur plusieurs terrains et étant à des stades d’expériences politiques différentes. C’est pour ne pas masquer la réalité et la richesse du mouvement que nous avons décidé d’ouvrir cette feuille à tous les débats, y compris les plus contradictoires. »

Les auteurs précisent quelques paragraphes plus haut :

« Ce premier essai d’une revue d’une partie du mouvement n’est pas l’organe centralisateur et autoritaire que certains voudraient y voir, les diverses composantes en étant partie prenante ayant manifesté leur désir de le laisser ouvert à toutes les initiatives, à toutes les formes d’espaces, à tous les débats qui concernent le « mouvement » ».

L’Officiel de l’autonomie est aussi une réaction face au constat de rupture avec Libération. Deux articles sont d’ailleurs consacrés à l’action du 23 octobre (occupation du siège de Libération) dont une lettre ouverte à Serge July intitulée « Cher July, mon amour ». Les autres articles de L’Officiel de l’autonomie concernent la réunion du 29 octobre, la manifestation de soutien à la RAF organisée à Saint-Lazare le 21, la question des femmes dans le mouvement, la répression en Grèce, la lutte antimilitariste, les concerts de rock, les luttes des prisonniers, la question de la violence, la lutte antinucléaire, le mouvement étudiant, et enfin la question du contrôle social et des travailleurs sociaux. Une diversité là aussi révélatrice.

En novembre 1977 paraît aussi le numéro zéro de Autonomie Prolétaire, avec en Une la photo d’Andreas Baader, et cette citation de la RAF : « Qui crie au « terrorisme », qui montre les partisans du doigt, qui les dénonce comme anarchistes, blanquistes, « desperados », romantiques, révèle seulement son angoisse devant les tâches révolutionnaires ». Autonomie Prolétaire est le journal du collectif « Offensive et Autonomie », qui succède alors à La Cause du Peuple. Ce groupe est ainsi emblématique du passage du maoïsme à l’Autonomie. La continuité avec La Cause du Peuple est d’ailleurs expliqué dans l’introduction du numéro 1 des Cahiers Théoriques de Autonomie Prolétaire :

« le cadre de fond sur lequel repose ce texte de propositions théoriques réside dans l’analyse du système capitaliste français et de sa représentation giscardienne que nous avions faites dans un précédent texte théorique de notre époque Cause du Peuple : ’De la Résistance prolétarienne à la révolution prolétarienne’. Ce cahier date de mai 1976 et est encore disponible. ».

Autonomie Prolétaire dresse un bilan critique de l’expérience maoïste en parlant de la lutte contre l’ennemi capitaliste : « pour nous combattre cet ennemi avec les armes de nos camarades de la Russie de 1917 ou de la Chine de 1949 serait une aberration, nos échecs successifs depuis des années sont là pour le prouver » [1], et écrit plus loin :

« Un principe communiste fondamental est que rien n’est acquis. Les péripéties récentes de la lutte des classes en Chine après la mort de MAO le montrent une fois de plus. Sans cesse l’ennemi tentera de récupérer son ou ses pouvoirs. Sans cesse nous devrons rester vigilants pour l’écraser (…) D’autre part, être communiste signifie aussi être capable de produire une critique communiste du marxisme comme du léninisme. Reconnaître que les déviations ne tombent pas du ciel, mais sont les produits du marxisme. Combattre les causes. » [2]

avant de citer cette phrase tirée du Manifeste du Parti Communiste : « Les communistes n’établissent pas de principes particuliers sur lesquels ils voudraient modeler le mouvement ouvrier ». Autonomie Prolétaire critique aussi les organisations maoïstes de l’après-68 en écrivant :

« A chaque phase de développement de notre offensive apparaissent des forces de la bourgeoisie pour nous récupérer, châtrer notre révolte, empêcher l’éclatement des contradictions, jouer un rôle de médiation entre les prolétaires et la bourgeoisie. Ce rôle a été joué par les gauchistes à partir de la tempête révolutionnaire de Mai-Juin 1968. A chaque fois, trotskystes, anarchistes et Marxistes-Léninistes ont tenté de bloquer le développement de l’offensive révolutionnaire. » [3]

Autonomie Prolétaire se distingue des autres journaux autonomes par de violents appels à la lutte armée. Au dos du numéro zéro, une photo des « ruines du club des officiers américains de Francfort détruit par le RAF le 11 mai 1972 » et une citation d’Ulrike Meinhof : « De qui dépend que l’oppression demeure ? De nous ! De qui dépend qu’elle soit brisée ? De nous également ! ». Pour Autonomie Prolétaire,

« le fascisme s’avance masqué sous les traits de la social-démocratie prise dans un sens large, de Mitterrand à Giscard. La social-démocratie prépare le terrain comme on le voit en RFA (…) Depuis l’exécution de Tramoni, le 23 mars 1977, l’heure n’est plus à l’action symbolique. L’étape de la guerre de partisans sans arme, pour créer les conditions idéologiques de la lutte armée prolongée, est terminée dans son ensemble. S’ouvre l’étape menant à la guerre totale d’extermination des capitalistes et de destruction de leur système » [4].

Autonomie Prolétaire défend une conception avant-gardiste du processus insurrectionnel proche de celle des NAPAP.

Une revue maoïste permet d’attirer l’attention sur la tendance de loin la plus léniniste du mouvement autonome : L’Encrier. En 1977, le collectif qui anime cette revue décide de participer à Camarades et de se fondre dans le mouvement autonome. Un an plus tard, le collectif tire un bilan de sa participation au mouvement. Il publie alors en mai 1978 un nouveau numéro de la revue (le n° 28). Le premier article de ce numéro s’intitule : « L’Autonomie en France : contre l’hégémonie des désirants, notre mot d’ordre : prolétariser le mouvement ! Situation politique, idéologique, et organisationnelle du mouvement ». Cet article est d’ailleurs reproduit dans le n° 7 de Camarades. Pour L’Encrier,

« l’Inter-collectifs de Camarades reste le seul débris du « mouvement » où la question de l’aire politique reste posée, depuis que l’OCL s’est retirée sur la pointe des pieds pour retourner à ses élucubrations anarcho-syndicalistes (…) D’où notre participation à l’inter-collectifs. Mais cela ne peut en aucune façon occulter le fait que nous avons affaire non plus à une proposition de mouvement au sens le plus large, mais à celle d’une organisation –Camarades – dont la dissolution actuellement proposée dans le « mouvement » ne serait à notre avis qu’un voile sur les yeux pour ne plus voir. Les problèmes sur lesquels butte le « mouvement autonome » sont des problèmes d’organisation » [5].

Plutôt que la dissolution de Camarades, il semble en effet que L’Encrier aurait préféré la création d’un « parti autonome » sur le modèle marxiste-léniniste… Pour L’Encrier, les divergences idéologiques internes au mouvement autonome avaient été jusqu’ici largement sous-estimées, et le rassemblement à Strasbourg du 21 janvier est perçu comme un véritable putsch des désirants.

Avec l’effondrement du mouvement autonome en 1979, tous les journaux autonomes de cette époque vont disparaître. Il faut attendre quelques années avant de voir émerger une seconde génération de revues autonomes. Ces revues du début des années 80 sont nettement moins nombreuses et d’envergure beaucoup plus modeste.

Le journal Tout ! est l’un des plus importants de cette époque. Le numéro 1 paraît en décembre 1982. Ce journal reprend alors le titre de celui publié par le groupe maoïste Vive La Révolution (VLR) de 1970 à 1971. Tout comme le journal de VLR, le Tout ! des années 80 est lui aussi sous-titré « Ce que nous voulons ? Tout ! ». Mais la filiation est très lointaine pour cette génération qui était encore à l’école primaire en 1970 : il s’agit plus d’un clin d’œil historique. En effet, si VLR représentait en 1971 la tendance de loin la plus libertaire du maoïsme, le Tout ! des années 80 n’a plus grand-chose à voir avec le maoïsme (si ce n’est une lointaine filiation). Le Tout ! de 1982 est en effet un journal autonome qui arbore aussi bien le A cerclé que la faucille et le marteau, n’hésitant pas à manier la dérision avec des références à Groucho Marx. Cependant, d’après Bertrand [6] (à l’époque squatter dans le 20e arrondissement de Paris), Tout ! était un journal « antilibertaire » composé essentiellement d’étudiants et était lié à la Coordination Autonome pour des Espaces Libérés (CAEL) et au collectif des Occupants-Rénovateurs.

L’éditorial du numéro 1 de Tout ! se présente ainsi :

« Tout ! se veut une tentative pour relancer un processus de production/circulation d’informations & analyses dans le mouvement. Ni expression d’une ligne, ni projet politique préconstitué (loin de toute réalité), ni tentative de centralisation… seulement une contribution de quelques individus autonomes, qui ressentent le besoin objectif/subjectif de mettre en place un réseau d’échange-confrontation & rencontre prolétaire. Tout ! n’entend pas être l’expression d’un courant (les « autonomes ») ou le lieu d’élaboration d’une quelconque théorie fut-elle « autonome », mais bien plutôt de contribuer au développement de l’AUTONOMIE PROLETAIRE, comme moment d’auto-organisation de la radicalité et des luttes, comme rencontre de nos subjectivités rebelles. Tout ! un lieu ouvert parce que nous faisons le pari que la rencontre de nos différences et leur confrontation (à ne pas confondre avec juxtaposition) mutuelle sont dix mille fois plus créatif et efficace que tout projet unificateur et centralisateur. TOUT ! pour en finir avec le désert et L’HIVER précoce ! Ce Que Nous Voulons ? TOUT ! ».

Tout ! semble avoir définitivement disparu en 1985.