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L’Archipel des collectifs autonomes et des groupes informels

Il serait difficile d’énumérer de manière exhaustive la totalité des groupes dont est composée la mouvance autonome puisqu’il s’agit de plusieurs dizaines de groupes et de collectifs dont une grande partie sont totalement informels et s’apparentent plus à des bandes de jeunes qu’à des groupes politiques.

Outre les collectifs d’étudiants, trois groupes sont principalement à l’origine de la formation du Collectif d’Agitation en novembre 1976 : la bande de Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine), le collectif de la BNP, et le comité de chômeurs du 15e arrondissement de Paris. La bande de Rueil est un groupe d’une trentaine de jeunes maoïstes issus de la Cause du Peuple. La plupart n’habitent pas Rueil-Malmaison mais étaient au lycée de Rueil entre 1971 et 1975 [1].

Le comité de chômeurs du 15e arrondissement apparaît au début de l’année 1976. Il est issu du Collectif Chômage-Paris créé à l’automne 1974. Le Collectif Chômage refuse la stratégie syndicale de défense de l’emploi et a pour but de créer des comités de chômeurs implantés au niveau de chaque quartier avec comme perspective le refus du travail et la lutte pour les autoréductions [2]. Le comité de chômeurs du 15e regroupe une cinquantaine de personnes. Il lutte pour obtenir un revenu garanti égal à 90 % du salaire antérieur avec un seuil plancher au niveau du SMIC. Il lance aussi dans le même temps une campagne pour la gratuité des transports pour les chômeurs.

Le collectif autonome des travailleurs de la BNP de Paris se forme à la fin de l’année 1976 à l’occasion d’une grève des informaticiens [3]. Trois syndicalistes sont alors exclus de la CFDT [4]. Parmi eux, Alain Pojolat et Nathalie Ménigon, qui décident de créer un collectif autonome [5]. Ce collectif regroupe une trentaine de militants actifs : tous ceux qui sont à la pointe de la grève. Certains militants de l’Union Ouvrière (un groupe conseilliste) participent aussi au collectif de la BNP. La grève à la BNP dure deux mois (décembre 1976-janvier 1977) : les employés du centre informatique de la BNP se révoltent contre les conditions de travail qui leur sont imposés, en particulier les horaires alternés en 3 x 8. Les grévistes bloquent le centre informatique où ils travaillent, dans le quartier de Barbès, dans le 18e arrondissement. C’est une grève très dure : la police réprime sévèrement les manifestations organisées dans le quartier, des actions de sabotage ont lieu, et tous les jours de violents affrontements opposent les grévistes aux employés envoyés pour les remplacer. Les grévistes paralysant l’entreprise, la BNP finit par céder : les employés licenciés sont réintégrés et les informaticiens obtiennent une semaine de congés payés mensuelle.

Au mois de juin 1977, le collectif autonome de la BNP participe aux piquets de grève des nettoyeurs du métro : des militants se laissent enfermer la nuit dans les stations de métro et en profitent pour bloquer toutes les entrées. Les membres de ce collectif ont tous une vingtaine d’années, ils se reconnaissent tous dans la même culture, et notamment dans le mouvement antinucléaire. Ils participent à l’émeute de Creys-Malville les 30 et 31 juillet durant laquelle un militant de la Fédération Anarchiste, Vital Michalon, est abattu par un tir de grenade. Au mois de décembre, le collectif publie « L’Auto-Journal », où il se présente comme la « SIA-BNP », « section BNP de l’Internationale Autonome ». Mais le collectif disparaît dans les mois qui suivent, beaucoup de militants préférant se mettre au chômage et aller vivre en squat.

A la même époque se crée à Caen un collectif libertaire autonome, à partir de 1976. Ce collectif regroupe des jeunes dont la plupart sont encore lycéens à sa création. D’après Bertrand, un ancien membre de ce collectif, il y avait à cette époque des dizaines d’anarchistes dans la ville qui ne se reconnaissaient dans aucune organisation [6]. La Fédération Anarchiste ne compte alors à Caen qu’un seul militant et seule l’OCL parvient à rassembler une quinzaine d’adhérents. Bertrand explique ainsi : « on n’a pas attendu le mouvement Autonome pour s’organiser en dehors des partis ». Bertrand perçoit en effet à ce moment là le mouvement Autonome parisien comme un phénomène spectaculaire qui cache la réalité des multiples pratiques autonomes répandues dans les autres villes : « régulièrement, on faisait des graffitis « Autonomie » avec le A cerclé avant que ça devienne la mode : autonomie ça voulait dire en dehors des partis ». Mais à partir de 1978, les militants de l’Organisation Communiste des Travailleurs (un groupe marxiste-léniniste) vont essayer de récupérer le mouvement autonome dans une logique partidaire : ainsi, d’après Bertrand, ces militants voulaient selon leurs propres dires « dissoudre l’OCT pour qu’elle devienne le squelette de l’Autonomie » [7]. Pour Bertrand, l’autonomie c’était « plein de gens qui étaient babas-cool et antiflics mais pas forcément politisés : on avait tous les cheveux longs, on fumait tous des joints ». La principale pratique politique de ces jeunes consistait à rentrer en force dans les concerts, mais Bertrand précise : « une fois qu’on avait réussi à rentrer, on ressortait au bout d’un quart d’heure », le but n’étant pas d’assister aux concerts mais d’imposer la gratuité en s’affrontant physiquement avec les vigiles. Bertrand se disait « « autonome autonome » parce qu’ « autonome ça voulait plus rien dire » du fait de la récupération de l’autonomie par les groupes gauchistes comme l’OCT. A l’université de Caen en 1978-1979, Bertrand écrit sur un mur : « nous les non-syndiqués sommes tous des autonomes ». Le 17 novembre 1978, une manifestation tourne à l’émeute dans la ville, mais pour Bertrand « ce ne sont pas les Autonomes qui ont cassé, c’est surtout la masse des babas-cool anti-flics ». « Babas-cool anti-flics » que l’on pourra tout à fait considérer comme « autonomes » en raison de leurs pratiques.

En 1980, une importante grève survient à l’université de Caen. Bertrand explique qu’à cette occasion « les Autonomes officiels parisiens sont venus à Caen dans une logique de gauchiste pour essayer de labelliser des représentants officiels de l’Autonomie par le biais des anciens de l’OCT ». Cette visite des Autonomes parisiens provoque une effervescence dans la ville, chacun répétant à tout le monde : « les Autonomes sont là ! Ils se sont fait arrêtés avec un flingue ! ». Pour Bertrand, « les Autonomes officiels n’étaient qu’une quinzaine à Caen mais l’autonomie réelle était au moins dix fois plus nombreuse ».

A la même époque en région parisienne, d’autres bandes de jeunes se regroupent aussi de manière informelle. Ces adolescents ont entre 13 et 18 ans. Ils vont former la seconde génération de l’Autonomie. La plupart habitent encore chez leurs parents (généralement en banlieue). Les plus jeunes ont l’âge d’aller au collège ou au lycée mais vont de moins en moins en cours. Les plus vieux sont déjà de jeunes chômeurs. Ces jeunes sont généralement catégorisés comme relevant de l’ « échec scolaire » et de la « délinquance juvénile ». Bruno [8] faisait partie de ce groupe de jeunes autonomes inorganisés. Il explique ainsi :

« En 79, nous, le groupe qu’on était, c’était le groupe des habitués de manifs : on était des mômes et on allait à toutes les manifs : on se connaissait pas, on venait de partout : trois-quatre copains, des fois cinq-six, des fois dix, et on retrouvait plein de gens comme nous : assez jeunes, des lycéens ou zonards, ou lycéens et zonards, des collectifs de mineurs en lutte des mineurs-fugueurs qui occupaient à l’époque des salles à la fac de Vincennes pour dormir... On se retrouvait sans se connaître. Et on était 100-200 personnes comme ça : les inorganisés, c’était nous. Il y avait des manifs tout le temps : affrontements avec les flics toutes les semaines. On était des gamins : notre spécialité, c’était le pillage de boulangeries. Mais, pour nous, on faisait la révolution : des cocktails Molotov, des petits explosifs qu’on jetait sur les fins de manif… On était prêts à mourir : des vrais barjos, assez inconscients… Moi, tout le temps quand j’allais dans les manifs, je partais à la manif avec un sac de barres avec trente barres de fer, ou avec dix casques. Il y avait toujours cinq ou six personnes qui ramenaient du matos comme ça : ils distribuaient et puis ça y allait. Nous, on était pas sérieux. On s’en foutait de tout : baston, baston… Mais même nous on fonctionnait avec des coordinations éphémères, mais on cherchait pas d’accords politiques, on cherchait les accords pratiques. C’était une optique centrée sur l’efficacité des actes. Moi, je pensais que je faisais la révolution. Pas forcément que c’était immédiatement proche mais qu’en tout cas, à moyen terme, il y avait des possibilités de renverser le système. C’est à dire que tu rentres dans une logique où tu sais que l’emploi des armes va être inévitable et incontournable. »

En mai 1980, un mouvement étudiant se développe contre les lois Bonnet-Stoléru (et plus particulièrement contre le décret Imbert) visant à restreindre l’immigration [9]. Les autonomes inorganisés organisent alors des émeutes autour de l’université de Jussieu. L’un de ces autonomes, Alain Begrand, SDF, se tue le 13 mai en tentant d’échapper à la police (en passant à travers une verrière). Bruno relate ainsi cet événement :

« On est 50-70. La première action qu’on fait, nous (nous, c’est à dire le groupe des inorganisés), on a rendez-vous tous les soirs à 18H00, notre but est clair : c’est que les flics rentrent sur le parvis parce que s’ils rentrent sur le parvis de la fac, c’est la grève générale étudiante. Donc on se donne rendez-vous sur le parvis et on va cramer une banque en face. Et on se retranche dans la fac, et on attend les flics. Le lendemain, on y va, on pète les vitrines dans le quartier, on crame le truc et on se replie sur la fac où on a barricadé et où on a préparé du matériel pour accueillir les flics. Comme ça : et au bout d’une semaine, les flics rentrent : et il y a un copain qui meurt. Et ça nous semble logique. Nous, ça nous a pas effrayé, on y était psychologiquement préparé. Ca nous a pas ému plus que ça puisqu’on pensait qu’on faisait la révolution et que certainement la moitié d’entre nous allaient y rester… Dans le groupe, on a eu trois arrestations : deux de 14 ans, un de 13 ans : les plus jeunes, la moyenne c’était 16 ans. Et on savait tous faire des explosifs (qui marchaient rarement). On bricolait tous ça parce que c’était la logique du truc : tu te disais pas révolutionnaire si tu savais pas faire un cocktail Molotov, si tu savais pas faire des explosifs, si t’es pas capable avec trois copains d’aller faire une action directe. »

Tout au long de l’année 1982, les autonomes vont participer à la jonction qui s’opère entre la lutte antinucléaire et celle des sidérurgistes autour de Chooz et Vireux dans les Ardennes [10]. La lutte contre la construction d’un second réacteur nucléaire dans le petit village de Chooz (800 habitants) avait débuté dès la fin des années 70. Mais en 1982, les manifestations vont devenir massives et prendre une forme émeutière, attirant ainsi une cinquantaine d’autonomes parisiens en quête d’affrontements avec les forces de l’ordre. Parmi eux, des squatters du 20e arrondissement, Action Directe, et un groupe proche des positions situationnistes : « Les Fossoyeurs du Vieux Monde ».

Les rassemblements ont lieu tous les derniers samedis du mois. Mais c’est surtout l’apparition d’une deuxième lutte à quelques kilomètres de là, qui donne un tournant insurrectionnel aux évènements : celle des sidérurgistes de Vireux contre la fermeture de leur usine. La situation est d’autant plus difficile à gérer pour les forces de l’ordre que cette partie des Ardennes forme une pointe de dix kilomètres de large (la pointe de Givet) enclavée dans la Belgique. Pour rétablir l’ordre à Chooz , les gendarmes sont obligés de passer par Vireux et donc d’affronter les sidérurgistes qui bloquent la route. C’est ainsi que les deux luttes fusionnent dans l’affrontement contre les forces de l’ordre. Bruno, qui n’a jamais manqué une seule de ces émeutes, se souvient :

« J’y allais pour la baston. J’ai jamais discuté sérieusement avec les ouvriers de là-bas. J’ai jamais été à aucune réunion, alors qu’il y avait des gens qui étaient en contact avec. On était accueillis à bras ouverts : les gens t’amènent à bouffer... Tous les derniers samedis du mois, il y avait un rendez-vous, l’appel des antinucléaires du coin pour aller marcher sur la centrale. Ils viraient aussi les usines dans le cadre d’une restructuration. Pour les ouvriers, c’était lié : donc, ils étaient dans les trucs antinucléaires. Un jour, on était partis sur une manif antinucléaire : les ouvriers ont bloqué la route et ont occupé l’usine. La lutte des sidérurgistes est alors devenue l’aspect principal avec l’occupation permanente de l’usine et l’affrontement permanent. Dans l’usine, il y avait deux ou trois groupes clandestins de sabotage dont un qui s’appelait « Vireux vivra » : les mecs arrivaient avec des cagoules et le tee-shirt « Vireux vivra », l’usine continuait à marcher au ralenti (on ne peut pas arrêter un haut-fourneau). C’était tout le village : une insurrection qui s’instaure. ».