Bandeau
Recherches anarchistes
Slogan du site
Descriptif du site
Chapitre II : L’ère du « repli sur soi » : Recul et renaissance du mouvement libertaire en Saône-et-Loire. [1887-1899)
C) La renaissance de la propagande anarchiste sous l’impulsion de Lucien Weil (1895-1899)

Texte précédent :

B) Le temps de la répression (1893-1894)

1) Un dynamisme retrouvé

a) L’arrivée de Weil dans le département et la création d’un nouveau groupe anarchiste [1]

En 1894, la presse anarchiste avait cessé de paraître et l’épisode de la répression s’était achevée par
le « procès des trente » en août. Après de nombreuses amnisties en 1895, le mouvement anarchiste
renaissait bientôt de ses cendres. L’arrivée de Lucien Weil dans le département va redonner de la
vigueur à un mouvement qui était moribond depuis les derniers attentats des bandes noires à la fin
des années 1880. En effet, Lucien Weil était un personnage important des milieux anarchistes
français. Il fut pendant près de cinq ans le gérant du Père Peinard avec Pouget. S’il rompt avec lui à
cette époque, à cause de la querelle concernant l’entrée des anarchistes dans les syndicats, il n’arrête
pas la propagande pour autant. En effet, quand il arrive à Chalon-sur-Saône en 1895, c’est en tant
que correspondant du Libertaire de Sébastien Faure. Son intarissable prosélytisme va aboutir à la
création d’un nouveau groupe anarchiste à Chalon-sur-Saône.

Le groupe va progressivement s’organiser autour de la personne de Lucien Weil. Le compagnon se
lie d’amitié avec un certain Guillon qui devient très vite son bras droit. En 1896, le commissaire
spécial de Chalon note que les libertaires sont maintenant forts d’une vingtaine de sympathisants [2] .
Parmi ceux ci, il distingue la « poignée de militants » qui fait vivre le mouvement : Weil, Guillon,
Dombois, Dessolin et Spenlhauher. Si Dombois et Dessolin semblent être de nouveaux militants, il
est à noter que le compagnon Spenlhauher semble n’avoir jamais renié son anarchisme même après
avoir été condamné à un an de prison à la suite de l’émeute de 1882 [3] .

Le groupe, qui se fait appeler « Les anarchistes libertaires », et notamment le binôme formé par
Weil et Guillon, développe une propagande intense en faveur de la presse anarchiste et organise
de nombreuses conférences dans la région [4] .

Ce renouveau de la propagande anarchiste semble à nouveau attirer les masses. En effet, il semble
que dès 1895, la vente du premier numéro de La Sociale, le nouveau journal de Pouget, soit un
succès sur Chalon [5] . De plus, le Libertaire pour lequel travaille Weil connait un succès inespéré [6]. Le
commissaire spécial note avec inquiétude que les premiers numéros se sont écoulés à 600
exemplaires avant de se stabiliser à 200 exemplaires par semaine à Chalon.

Cette propagande « agressive » du groupe de Chalon, qui s’adresse aussi bien aux ouvriers qu’aux
prisonniers ou aux soldats [7] , ne s’arrête pas à la presse ou aux conférences.

Les anarchistes troublent les conférences de leurs adversaires politiques aux cris de « Vive
l’anarchie » et en chantant la Carmagnole [8] . Ils lancent une virulente campagne en faveur de
l’abstention aux élections [9]. C’est dans ces circonstances qu’ils publient un factum « Vive la
grève ! » où il félicite les 2000 électeurs qui ne se sont pas rendus aux urnes à Chalon [10] . :

« Devant les décisions de l’autorité, que les votards s’inclinent. Puisqu’ils ont pris part à la
comédie électorale, qu’ils acceptent s’ils le veulent la tragédie autoritaire.

Nous, les abstentionnistes, nous n’avons donné à personne le mandat de nous asservir, nous avons
gardé intacte notre souveraineté, nous n’avons pas renoncé à notre droit de révolte.

VIVE LA GREVE ELECTORALE !

VIVE LA LIBERTE ! [11] »

Ainsi, sous l’impulsion de Weil, la propagande anarchiste renaît en Saône-et-Loire. Si l’action du
groupe est centré sur Chalon, il existe toujours des anarchistes dans les autres villes du département
et des actions isolées sont organisées, à St Sernin du bois par exemple. Cependant, la masse de nos
documents concernent uniquement la ville de Chalon, ceci s’explique bien sûr par la vigueur du
groupe mais surtout par l’inquiétude des autorités qui focalisent alors leur surveillance sur le
groupe mené par le « dangereux » Lucien Weil.

b) La sociabilité anarchiste : les soirées de familles

b1) le compagnonnage :

L’arrivée de Lucien Weil dans le département, a contribué à développer une sociabilité qui

existait déjà dans de nombreux groupes anarchistes français : « la soirée de famille ».

« Etre un compagnon, c’est en effet d’abord développer et approfondir les liens de sociabilité tissés
au hasard de rencontres avec les autres compagnons, lors de réunions de groupes, de goguettes,
causeries entre amis, balades champêtres entre camarades, punchs et surtout « soirées de
famille [12] ».

Ainsi on en revient toujours à « l’identité anarchiste » et surtout au concept de
« compagnonnage anarchiste ». En effet, ces soirées de familles sont l’occasion de « se rencontrer,
de discuter, de se distraire ». Il s’agit en fait d’approfondir les liens entre militants, permettant
comme le suggère Bouhey, de passer du statut de simple citoyen, à celui de « compagnon [13] .

b2) Le rapprochement avec les socialistes

Au delà de cet aspect, les premières soirées familiales de Chalon semblent avoir un caractère
original. En effet, au début de l’année 1896, les réunions de familles auraient lieu « tous les
dimanches soir à 8h » chez un certain Mange, conseiller municipal socialiste de Chalon [14] . Ce
rapprochement des libertaires avec certains socialistes est intéressant, car même si Mange refusera
après 1896 d’accueillir ces « soirées anarchistes », il continuera de travailler avec eux, notamment à
la préparation de conférences. Il faut comprendre cette entente par le caractère original que donne
Lucien Weil au mouvement local. En effet, il appartient à ceux que Bouhey appelle les « lieutenants
de Sébastien Faure », c’est à dire qu’il fait partie des anarchistes qui se rapprochent des autres
familles socialistes pendant l’engagement des « fauristes » en faveur de Dreyfus [15] . Ces contacts avec
les milieux socialistes permet à Weil de gagner de nouveaux compagnons à ses idées comme
Dombois :

« C’est ainsi que le dénommé Dombois, dont j’ai parlé plus haut, qui, il y a peu de temps encore,
était membre du comité socialiste, est devenue depuis peu un fidèle de Weil. [16] »

b3) Des soirées ouvertes aux familles des compagnons

Ces soirées sont aussi l’occasion pour le groupe de s’ouvrir vers les familles des
compagnons, c’est par exemple l’occasion pour les femmes de s’intéresser à l’engagement politique

de leurs maris :

« Une quinzaines de personnes, hommes, femmes, enfants, parmis lesquels Lucien Weil, sa mère et son père, Guillon et sa femme […] se réunirent chez M. Mange[...] [17] »

De plus, même si il n’y a que des militants hommes fichés dans les dossiers individuels des
anarchistes du département, certaines informations nous permettent d’affirmer que cette tactique
des « soirées de famille » s’avère payante pour séduire « de nouveaux adeptes ». Ainsi, on apprend
que « toute la famille » du compagnon Dessolin professe des idées anarchistes ». Une des filles de
Dessolin, qui était chanteuse à Chalon, est surveillée pour ses propos anarchistes, tandis que sa
soeur, mariée au compagnon Bonnot, semble avoir été, elle-aussi, gagnée aux idées libertaires [18]
.

b4) Un moment de convivialité

Si ces soirées séduisent de plus en plus de gens, c’est surtout grâce à leur caractère
convivial. Ainsi Bouhey, explique que même si les compagnons ne perdent pas de vue « l’action
politique », c’est d’abord pour passer un bon moment, pour se détendre et faire la fête entre amis
que les anarchistes se réunissent régulièrement. Ainsi après la fin des soirées chez Mange, les libertaires se réuniront au moins deux fois par an à la salle du Colisée à Chalon, où ils organisent
des concours de chansons ou encore des bals qui réunissent jusqu’à 200 personnes [19].

b5) Une tribune politique

Enfin, ces soirées de familles sont une bonne tribune politique pour le groupe. C’est
l’occasion par exemple de commémorer des événements chers aux anarchistes comme la Commune
de Paris. Ainsi à l’occasion d’une soirée de famille le 20 Mars 1897, Lucien Weil prend la parole
devant plus d’une centaine de personnes. Il relate les événements de la Commune et termine son
discours au cri de « Vive la révolution sociale ! » repris par une salle enthousiaste [20] .

2) Le temps des conférences

a) Le développement d’une culture anarchiste

Outre son engagement en faveur de la presse libertaire, c’est par le biais de nombreuses conférences
que Lucien Weil va développer une culture anarchiste à Chalon. En effet, un rapport du
commissaire spécial sur l’organisation du groupe insistait déjà sur ses deux aspects de la
propagande de Weil et ses compagnons :

« Ce dernier [Lucien Weil], aidé d’un certain Guillon essaie par tous les moyens possibles de faire
des adeptes, soit en donnant des conférences tantôt publiques tantôt privées, soit en facilitant d’une
façon occulte la vente, dans certains débits de tabac et autres, les diverses feuilles anarchiques [21] »

Si on peut parler du développement d’une culture anarchiste, c’est que pour la première fois en
Saône-et-Loire, la propagande est prise en charge par un homme doté lui-même de cette culture qui
faisait tant défaut au temps des « bandes noires ». Ainsi, Lucien Weil va amener les compagnons à
la réflexion sur de nombreux thèmes anarchistes tel l’antimilitarisme ou le syndicalisme. Il va
également les encourager à se rendre aux conférences publiques contradictoires, afin d’y défendre
les idées libertaires. C’est ainsi qu’en décembre 1895, un conférencier qui se dit lui même « antisocialiste
 » est violemment pris à parti par Weil, soutenu par ses compagnons [22] .

A partir de 1896 et jusqu’à son départ de Chalon en juillet 1898, Lucien Weil va lui même donner
une série de conférences dont on a retenu quelques intitulés : « L’inquisition en Espagne », « L’idée
Libertaire » ou encore « La révolution est elle nécessaire ? ». Elles réunissent à chaque fois entre 50
et 200 personnes selon les sujets abordés.

C’est au lendemain des attentats anarchistes de l’été 1896 en Espagne que Weil et son ami socialiste
Mange donne la conférence sur « L’inquisition en Espagne ». C’est l’occasion pour les deux
orateurs de revenir sur l’histoire de la répression du mouvement ouvrier. Weil revient sur l’exécution des anarchistes de Chicago ainsi que sur le massacre de Fourmies [23] . Pourtant le sujet
principal reste la répression contre les anarchistes espagnols, comme l’annonce le tract :

« Il se passe en Espagne des choses horribles. Des hommes qui n’ont commis d’autres crimes que
de rêver un avenir de liberté, de paix et de bonheur ont été soumis aux tortures les plus atroces.
Les supplices de l’Inquisition ont été remis en vigueur à leur attention : ongles extirpés, chairs
brulées, lèvres tailladées, les pires tourments leur ont été infligés par la soldatesque espagnole obéissant aux ordres des prêtres. [24] »

D’autres conférences abordent plutôt les moyens du changement social. Ainsi, dans sa conférence
« La Révolution est elle nécessaire ? », Weil reprend et développe la théorie de « la loi d’airain des
salaires » du socialiste allemand Ferdinand Lassalle. Cette théorie est une critique virulente du
libéralisme économique dans le sens où elle expose que dans ce système, le salaire de l’ouvrier sera
toujours fixé de manière à lui assurer le strict nécessaire pour survivre et ainsi pouvoir continuer à
produire.

« Le gain d’un ouvrier ne saurait normalement descendre au-dessous de la somme nécessaire pour
l’existence du troupeau d’esclaves dont a besoin la bourgeoisie, mais il ne saurait non plus dépasser
cette somme. [25] »

Dès lors, pour Weil, il n’y a que la suppression du salariat et donc la Révolution qui puisse amener
l’ère du changement social. Ainsi, il est selon lui inutile et même contre-productif pour un
révolutionnaire de militer au sein d’un syndicat. Il reste ainsi dans la tradition du Libertaire, qui
reste hostile à l’entrée des anarchistes dans les syndicats jusqu’en 1899 [26] .

Ainsi, en abordant de nombreux thèmes anarchistes et en se positionnant sur des sujets comme le
syndicalisme qui faisait alors débat au sein même du mouvement, Weil a contribué à développer
fortement la « culture anarchiste » dans le département. Depuis les premières bandes noires, les
ouvriers du département avaient été séduits par les idées libertaires, mais ils leur avaient manqué un
homme capable de leur apporter les connaissances théoriques nécessaires sur un mouvement qu’ils
connaissaient mal et dont ils ne retenaient alors que l’aspect violent. Le bref passage de Lucien Weil
en Saône-et-Loire comble enfin cette lacune et permet au mouvement de retrouver une dynamique
après l’épisode de la répression.

b) Tournée de conférences d’orateurs anarchistes majeurs : vers un anarchisme « éducationnisteréalisateur
 » ?

b1) Les orateurs de la presse libertaire

On peut penser que les liens qu’entretenaient Weil avec les anarchistes du Libertaire et du Père Peinard, ont facilité la venue dans le département de nombre d’entre eux. Ainsi au delà des
conférences données par Weil et ses compagnons, de nombreux orateurs issus de la presse libertaire
nationale vont venir pour des tournées dans la région. De décembre 1896 à janvier 1898, on compte
plus d’une demie douzaine de conférences tenues par des rédacteurs de la presse anarchiste. Ainsi,
en octobre 1896, c’est le compagnon Evariste Laurent, du Libertaire, qui débute cette série de
conférences [27] . Le sujet de la conférence est « Patriotisme et nationalisme », le thème fédérateur de
l’antimilitarisme, qui y est bien sûr développé, est l’occasion de réunir plus d’une centaine de
personnes. A la suite de cette première conférence, qui est considérée comme une réussite pour le
groupe de Chalon, des orateurs tels que Broussouloux du Père Peinard ou Girault du Libertaire,
vont se succéder au Colisée de Chalon et rencontrer à chaque fois un franc succès, puisqu’ils
semblent réunir toujours plus de cent personnes environ [28] .

b2) Louise Michel et Sébastien Faure en Saône-et-Loire

Cette effervescence des idées libertaires est ponctuée par la venue en Saône-et-Loire d’orateurs
prestigieux du mouvement libertaire comme Louise Michel et Sébastien Faure. Ce dernier va venir
soutenir la propagande de son ami Lucien Weil, en proposant chaque année de 1895 à 1897 une
tournée de conférences publiques et contradictoires à Chalon et Mâcon [29] . Les conférences les plus
importantes auront lieu en mai 1897, alors que Sébastien Faure, accompagné de Louise Michel et
du compagnon Matha, tient une conférence sur « La question sociale » qui réunit environ 250
personnes au Colisée. Leurs exposés sont caractéristiques de l’époque, car ils insistent sur
l’importance de faire la « révolution dans les mentalités » avant de faire « la révolution sociale ».
C’est en ces termes que Sébastien Faure explique son engagement anarchiste devant l’auditoire du
Colisée, le 23 mai 1897 :

« Nous ne sommes que les semeurs de la pensée, nous répandons le bon grain à pleines mains, à vous de veiller qu’il tombe dans une bonne terre, que partout en famille, à l’atelier, dans la rue, une propagande intense soit faite par vous [30] »

Cette nouvelle façon d’envisager la propagande depuis l’échec de la « propagande par le fait »
caractérise l’idéal type anarchiste « éducationniste-réalisateur » proposé par Manfredonia [31] :« L’idée
maîtresse de ce militant est de croire qu’à l’origine de tout changement social radical, il y a l’action consciente des
individus. Contrairement à l’insurrectionnel ou au syndicaliste, l’agent de la transformation sociale n’est plus le peuple
exploité ni la classe ouvrière mais bien l’individu [32] ».

Ainsi le compagnon Lucien Weil, épaulé par son important réseau de connaissances au sein du
mouvement anarchiste français, a permis aux compagnons de Saône-et-Loire d’accéder à un degré
de culture anarchiste qui leur avait toujours fait défaut. Il a redynamisé un mouvement à l’agonie,
en favorisant l’émergence d’un « nouvel anarchisme ». Pour reprendre la typologie
« Manfredonienne », on était passé d’un « anarchisme-insurrectionnel » à un « anarchisme
éducationniste-réalisateur ».

Conclusion du deuxième chapitre

De la fin des bandes noires jusqu’au tournant du siècle, le « compagnonnage anarchiste » semble
expliquer la survie d’un mouvement qui était moribond dans le département à la fin des années
1880. Les groupes se sont d’abord « repliés sur eux même » comme le suggère Bouhey, afin de
survivre à la répression [33] . En effet, les groupes comme ceux de Montchanin en 1892-1893 décident
d’arrêter la propagande pour se concentrer sur l’aide à apporter aux compagnons en fuite.

Malgré la répression des années 1893-1894, les perquisitions nous apprennent que les lecteurs de la
presse libertaire existent toujours. Il y a toujours une audience pour les idées anarchistes, mais plus
personne ne fait de propagande active avant l’arrivée de Weil en Saône-et-Loire en 1895.

Au delà du « compagnonnage anarchiste », le deuxième facteur majeur pour comprendre la survie
du mouvement est le bon fonctionnement des « réseaux » d’amitiés que les anarchistes avaient su
tisser avec les compagnons dijonnais et lyonnais dès le début des années 1880 [34] . Les anarchistes
sont peut être isolés et quasi-inactifs de la fin des années 1880 jusqu’en 1895, pourtant la solidarité
entre les compagnons des régions de l’est est restée intacte.

Après le procès des Trente en 1894, la renaissance du mouvement anarchiste en Saône-et-Loire est
principalement l’oeuvre d’un homme : Lucien Weil. Prosélyte infatigable, il parvient à créer un
groupe à Chalon. Il fait jouer son réseau d’amitié pour accueillir des orateurs aussi prestigieux que
Louise Michel ou Sébastien Faure et ainsi permettre aux anarchistes de Saône-et-Loire d’avoir
accès à un plus haut degré de « culture anarchiste [35] ». Ainsi les compagnons se sont intéressés, ont
discuté et débattu autour de thèmes comme le syndicalisme, l’antimilitarisme ou encore l’histoire du
mouvement ouvrier, au cours de nombreuses réunions de familles et conférences publiques. On
peut vraisemblablement dire que le développement des idées libertaires en Saône-et-Loire a permis
à l’anarchisme local d’évoluer pour dépasser l’idéal type de « l’anarchisme-insurrectionnel » des
années 1880 et se transformer progressivement en « anarchisme éducationniste-réalisateur » [36] .

Pourtant, cette effervescence des idées en Saône-et-Loire à la fin des années 1890, ne doit pas
cacher les difficultés que connait et connaitra le mouvement au tournant du siècle. Si certaines
thématiques comme l’antimilitarisme sont fédératrices au delà de la seule famille anarchiste,
d’autres points créent de sérieux débats au sein du mouvement. Par exemple, Lucien Weil, garant
d’un anarchisme « traditionnel », se positionnait contre l’entrée des anarchistes dans les syndicats,
alors qu’au début du siècle, le développement de l’anarcho-syndicalisme semble inéluctable.

Au niveau national, le débat sur la nature de l’anarchisme exacerbe les oppositions entre une

tendance « anarchiste individualiste » et une autre « anarchiste communiste » [37] et l’affaire Dreyfus
devient vite le « révélateur de ces divisions [38]
 ». Si les « fauristes » groupés autour de Sébastien
Faure et du [39] s’engagent très tôt dans le combat « dreyfusard », d’autres
compagnons peinent à accepter de défendre « Dreyfus le militaire ». Ainsi, à partir de l’automne
1898, une fronde « anti-fauriste » nait autour de Jean Grave et de son journal les Temps Nouveaux.
Ces compagnons pensent en effet que l’anarchisme est en train de se fourvoyer dans un combat qui
n’est pas le sien. Le mouvement ne sortira pas indemne de ces divisions, et c’est un « anarchisme en
miettes » qui franchit le seuil du XXème siècle.

Suite :

Chapitre III : "La dispersion des tendances" : Les mouvements
anarchistes en Saône-et-Loire (1899-1914)