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Recherches anarchistes
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Les aventures du je

Ceci dit, si Louise Michel introduit dans ses souvenirs nombre de poèmes et de documents, et si Charles Malato mélange roman satirique et roman feuilleton avec ses mémoires, il reste que leurs récits sont somme toute assez traditionnels. Il en va tout différemment avec Zo d’Axa, qui invente une forme nouvelle pour parler de ses aventures.

Les pérégrinations littéraires de Zo d’Axa

De Zo d’Axa, on ne connaît qu’un seul long texte, De Mazas à Jérusalem, écrit en prison, paru en 1895 [1]. C’est le récit de son exil, entrecoupé d’anecdotes ou de réflexions. Après le dénouement de l’affaire Dreyfus, il repart sur les routes, en trimardeur, laissant l’écriture dans un geste qu’on pourrait comparer à celui de Rimbaud. Plus que d’un renoncement à l’écriture, il s’agit de poursuivre la recherche de la vie, sous une autre forme, en Orient, au Canada, parmi les Indiens. Pour finir par tenter la traversée de Paris : Belleville, Grenelle, la Butte... un bâton à la main, ou à bicyclette.

Semblables aux héros de romans, jamais il ne mendie, pas même ses recours en grâce. Mieux : il les refuse. On le traite d’anarchiste ? C’est par le silence qu’il répond à l’insulte de ses ennemis. Ce n’est que plus tard, après le jugement, après la prison, qu’il refusera cette appellation.

De Mazas à Jérusalem  [2] se présente comme une autobiographie dont l’auteur chemine sans but, toujours incompris, partout étranger. Il part « pour n’importe où » et se retrouve à Londres, Rotterdam, remonte le Rhin. À Milan, il évoque une manifestation anarchiste. Il ira jusqu’à Jérusalem, avant d’être arrêté et enfermé à Sainte-Pélagie. Parmi les autres malfaiteurs, il est encore la « brebis galeuse » : tous les prisonniers s’inclinent devant la loi, aucun ne revendique son acte (« Et voilà comment le criminel écrivain que je suis fut séparé des "droits communs" » [3]). Ces condamnés honteux qui se cherchent des excuses, qui se veulent honnêtes et parlent de leurs fautes avec d’édifiants repentirs, l’écœurent.

Mais que fait-il dans son récit si ce n’est continuer l’activité littéraire qu’il avait entreprise dans ses journaux, L’Endehors, puis La Feuille  ? Ce sont les mêmes thèmes qui y sont développés, le même ton, la même intransigeance.

On ne trouve pas chez Zo d’Axa d’admiration : ni pour les grands hommes, ni pour le peuple. Lorsque le peuple est trop lâche, il ne se prive pas de lui dire la vérité. Dans La Feuille, il ironise à propos de l’« Honnête Ouvrier », à l’idéal de contremaître, qui tire vanité de son esclavage, qui « méprise le feignant qui gagne mal l’argent qu’accorde le patron ». Il n’y a chez lui aucun préjugé : il voit, il raille, il garde ses distances.

C’est lui qui rappelle les anarchistes à l’irrespect, après l’Affaire, quand il les voit défiler derrière la garde républicaine, acclamant Loubet (qui vient de remplacer Félix Faure) : « Est-il rien de plus édifiant ? Loubet est précisément l’intègre politicien qui, se sentant des entrailles de père pour les voleurs de Panama, tourna son juste courroux contre les compagnons anarchistes, qu’il fit traquer comme malfaiteurs. Vive l’anarchie ! Vive Loubet ! Le temps a de ces surprises... » [4]

Comme dans ses articles de journaux, la prose de son récit épouse au plus près l’actualité, le mouvement de l’errance. Zo d’Axa, c’est la littérature en action, qui tente d’échapper aux mots faciles, aux clichés, qui tente même de sortir de la littérature. La révolte n’est pas une chose qui se met en formules ou se codifie, elle se vit :

« L’idée de révolte n’est pas une quelconque maxime, une foi nouvelle destinée à tromper encore tes appétits et tes espoirs. C’est l’altière volonté de vivre, c’est l’art de marcher tout seul - endehors - il suffit d’oser » [5].

Zo d’Axa a osé, et a payé cher son indépendance d’esprit : dix lignes de sa plume dans un journal lui valent un an et demi de prison. Relisons les dernières lignes de son récit : « On a parlé de dilettantisme. Il n’est pas gratuit, celui-là, pas platonique : nous payons... Et nous recommençons » [6].

Pour l’en-dehors qu’était Zo d’Axa, le récit autobiographique et le journalisme permettait, tout en gardant toute indépendance, de ne pas être isolé, de donner en partage l’expérience et la pensée.

Peut-être peut-on également classer dans cette partie sur les écrits autobiographiques le récit de Mirbeau La 628-E-8 [7] (1907) du nom de la voiture qui le mène en voyage, et qui aboutit à un récit qui est mi-journal, mi-voyage. Le récit de voyage part de la volonté de lier écriture et vie, et mouvement, comme le montre cet hommage que fait Mirbeau au constructeur de l’automobile : « Cet hommage, je vous le dois, car je vous dois des joies multiples, des impressions neuves, tout un ordre de connaissances précieuses que les livres ne donnent pas, et des mois, des mois entiers de liberté totale [...] ». Le récit échappe à toute classification : « Est-ce bien un journal ? Est-ce même un voyage ? » se demande l’auteur dans un avis au lecteur [8]. Il lui permet en tout cas d’aborder nombre de thèmes tirés de l’actualité politique : les pogromes, les Boërs – ou littéraire (voir les allusions à Bourget ou Zola).

Les récits autobiographiques ou de tendance autobiographique écrits par les anarchistes n’ont aucune volonté d’édifier les lecteurs, mais tendent à faire partager une expérience : ce n’est qu’ainsi, à travers la sincérité et l’exemple, que l’on peut espérer changer ou faire évoluer les mentalités, sans contraintes, sans autorité. La littérature pour enfant produite par les anarchistes part de cette même volonté d’instruire et d’enseigner tout en respectant la liberté entière des individus

Caroline GRANIER

"Nous sommes des briseurs de formules". Les écrivains anarchistes en France à la fin du dix-neuvième siècle. Thèse de doctorat de l’Université Paris 8. 6 décembre 2003.

Suite :

3. La littérature enfantine